Pour sa deuxième course au large de la saison, Captain Alternance s’est classé huitième de la Transat Québec Saint-Malo (TQSM), à seulement une heure du vainqueur. À sa barre, Kéni Pipérol, Thomas Jourdren et Benoît Mariette, un trio inédit qu’un inébranlable sens du collectif a porté pendant 14 jours, 20 heures et 24 minutes.
Pendant les deux semaines de cette Transat Québec Saint-Malo, une grande partie de la flotte des Class40 s’est retrouvée voiles contre voiles. Sur le podium pendant plusieurs miles, Captain Alternance a nourri un suspense que seule la dernière nuit de course a levé.
Être dans la course
Sur l’étrave du 190, le sel de l’Atlantique a grignoté la mascotte de Captain Alternance. Le gros chat a perdu son oreille à tribord, mais a conservé intact son regard conquérant. À son bord, Kéni, Thomas et Benoît semblent poursuivre leur rituel de course. À terre comme en mer, chacun est à sa place et à sa tâche. Le retour d’une traversée de l’Atlantique a de fausses allures de fin de vacances : une fois les voiles repliées, le temps est au nettoyage, au rangement. Et au bilan. Porté par une bande-son assurée par un chanteur québécois, le récit des trois skippers ne contient aucune fausse note. « D’autres courses ont pu être frustrantes parce que nous subissions. Sur cette transat, nous avons été acteurs », note Kéni. Un constat partagé par Thomas : « nous avons montré que nous pouvions être aux avant-postes, animateurs de la course ».
Les skippers ont notamment su garder leur sang-froid lorsque les vents se sont montrés contraires à leurs attentes. Et ce dès le premier jour. « Nous avions pris un bon départ aux côtés des favoris, relate Kéni. Mais au nord de L’Isle-aux-Coudres, nous sommes tombés dans une zone sans vent. Nous avons même envisagé de jeter l’ancre pour éviter que le courant du Saint-Laurent nous fasse reculer ! » Après plusieurs heures de quasi-immobilité, l’équipage s’est employé à « mettre du bois dans la cheminée », selon l’expression de Kéni. L’engagement des trois hommes a payé : à la sortie du Saint-Laurent, Captain Alternance était à nouveau dans le groupe de tête. Une situation de course qui inspire à Thomas une leçon de mesure qui vaut philosophie de vie, « il ne faut jamais être trop content quand tout va bien et jamais découragé quand tout va mal ».
Tous dans le même bateau
Sur cette transat, savoir garder raison n’était pas la seule exigence. Dans un océan Atlantique imprévisible, les navigateurs n’ont eu de cesse de réajuster leur cap pour trouver la meilleure voie. « Nous avons toujours été francs dans nos choix stratégiques », se félicite Thomas qui souligne le rôle joué par Benoît dans la gestion d’une météo changeante. « Nous savions qu’il pouvait nous apporter beaucoup dans ce domaine, il ne nous a pas détrompés », renchérit Kéni. À 40 ans et après plusieurs années à courir en solitaire, Benoît est un lecteur avisé des cartes météo. Grâce à cette expertise, le trio a su s’orienter dans des conditions dépressionnaires et anticycloniques inhabituelles en période estivale.
Affaire d’expérience, la course au large est aussi histoire de transmission. « La force d’une équipe repose dans la capacité de chacun à partager et à recevoir ces connaissances », relate Thomas. À écouter les trois marins, le « je » occupe peu de place à bord. Le quotidien dans un monocoque tel que Captain Alternance a des allures de « colocation dans une seule chambre » qui nécessite de « mettre les ego de côté », selon Thomas. Plus qu’un impératif, l’humilité a des allures d’évidence pour le trio, qui évoque des décisions toujours collégiales et des responsabilités partagées.
Dans une course qui a laissé peu de place aux temps morts, Kéni, Benoît et Thomas ont néanmoins pu apprécier la diversité des paysages offerte par les rives du Saint-Laurent et la rencontre avec une baleine. « Nous sommes concentrés sur notre objectif, précise Benoît. Mais la navigation offre des épiphanies dont on ne se lasse jamais. » Le navigateur, qui ne connaissait que les nuits sans sommeil des courses au large, a aussi goûté les quarts et la possibilité de dormir une heure et demie toutes les trois heures. « C’est un luxe incroyable », s’enthousiasme-t-il.
De gauche à droite : Thomas Jourdren, Keni Piperol et Benoît Mariette
Du mieux au meilleur
Si la Transat Québec Saint-Malo est jugée globalement réussie, elle laisse à Thomas et Keni un regret. « Nous aurions aimé finir plus haut dans le classement, insiste Thomas. Ça s’est joué à peu de chose puisqu’il n’y a que quinze minutes entre nous et Sogestran (le cinquième) ». Trente-six heures avant l’arrivée, Captain Alternance a connu « un trou de vitesse » que les skippers ne s’expliquent toujours pas. « Les phases d’entraînement permettent habituellement d’apprivoiser les spécificités de chaque bateau. Nous avons récupéré ce Captain juste avant la Niji40 et nous continuons de le découvrir… en situation de course », souligne Kéni. Le mois d’août sera justement consacré aux axes de travail identifiés lors de la Transat Québec Saint-Malo. Captain Alternance s’alignera ensuite au départ de la CIC Normandy Channel Race qui partira de Caen le 15 septembre 2024. À sa barre, le duo Kéni-Thomas, guidé par les enseignements tirés de la Transat Québec Saint-Malo.
Captain Alternance embarque ses partenaires !
L’association Walt, porteuse du projet Captain Alternance, a convié ce mardi 16 juillet 2024 ses sponsors et mécènes à une journée de découverte du bateau. Partenaire premium, le CCCA-BTP faisait partie de l’assemblée attentive et curieuse qui a suivi l’équipage à bord.
« Je peux marcher là ? », « si je me tiens à cette barre, il n’y a pas de risque ? ». Une forme de fébrilité et d’excitation s’empare toujours de celui qui monte pour la première fois à bord d’un bateau de course. Les partenaires de Captain Alternance n’échappent pas à la règle et évoluent avec précaution sur le monocoque. « C’est du solide », les rassure Thomas.
Visite guidée de la proue à la poupe
Réunie dans le cockpit, la petite assemblée observe son nouvel environnement avec curiosité. « Vous vous trouvez là où nous avons passé l’essentiel de la course », précise Kéni amenant chacun à envisager quatorze jours dans un volume aussi réduit. Drisse, écoute, balancine… Le skipper présente les différents bouts et leurs fonctions. Benoît poursuit avec la description des huit voiles. « Chacune couvre un angle et une force de vent. Chaque changement de voile doit être bien réfléchi, car il fait perdre momentanément de la vitesse. » Les 200 mètres carrés du spi impressionnent
Terre à terre en mer
Invités par l’équipage, certains s’aventurent dans l’espace de vie et s’étonnent d’y tenir debout. À l’extrémité du bateau, le caractère spartiate du couchage suscite la perplexité. « Nous dormons sur un gros coussin que nous déplaçons selon les conditions météo. L’objectif est de toujours optimiser la répartition du poids dans le bateau. Le matossage, c’est-à-dire le déplacement des 300 kilos de matériel, fait partie du quotidien », explique Thomas. « Nous faisons des quarts de 90 minutes, complète Benoît. Pendant que l’un dort, l’autre est à la barre et le troisième en veille. »
La présentation d’un repas typique, à base de produits lyophilisés, ne développe aucun appétit. « Les fabricants ont pourtant amélioré et diversifié leur offre », assurent les trois marins. Si Thomas est le seul à avoir apprécié le cassoulet en guise de petit-déjeuner, le saucisson quotidien a mis tout le monde d’accord. Toilette de « chat », tri des déchets, hydratation, soin des blessures… les skippers partagent une vision très concrète de leur vie au large. Lorsque les terriens parlent de contraintes, les marins préfèrent évoquer l’adaptation et la recherche de solutions.
Un bateau et des enjeux
L’évolution des Class40 au cours de ces dernières années mène l’audience à s’interroger sur le devenir de monocoques touchés par l’obsolescence. Les marins reconnaissent qu’il y a là une vraie problématique à laquelle le milieu nautique est de plus en plus sensible. « La course à la performance ne peut se faire au détriment de l’environnement, nous en avons tous conscience, souligne Kéni. La construction du premier Captain en résine recyclable s’inscrivait précisément dans cette démarche. Nous cherchons encore un équilibre entre ces deux impératifs : être le plus rapide et le moins impactant sur notre environnement. »
Walt et Kéni, une histoire au long cours
À l’origine du projet Captain Alternance, il y a un jeune homme, Kéni Pipérol et une association, Walt. Le premier rêve de course au large, la seconde promeut l’alternance auprès de tous les publics. Agnès Domenech, déléguée générale de Walt, revient sur trois années d’engagement mutuel.
Casquette estampillée « TQSM » sur la tête, mascotte de Walt à proximité, guide du Routard de l’alternance à portée de main, Agnès Domenech ne se départit pas de son sourire pour évoquer Captain Alternance et son skipper principal. « Nous avons noué avec Kéni une relation de qualité. Un projet d’une telle envergure ne peut se faire sans une confiance partagée. Kéni n’est pas seulement un incroyable compétiteur, c’est aussi un jeune avec une personnalité attachante. Quel que soit son interlocuteur, il emporte l’adhésion. On le voit aussi à l’aise avec les enfants qu’avec une ministre ! »
Le projet « Captain Alternance » fait aussi l’unanimité auprès des acteurs avec qui Agnès échange au quotidien. « L’objet social de Walt, c’est de ne laisser aucun jeune sur le bord du chemin. Captain Alternance est un projet en cohérence avec cette ambition. Kéni n’est pas seulement un symbole, il embarque avec lui des valeurs et un message qui parlent à tous les jeunes que nous cherchons à atteindre. Nous avons également des retours très positifs des milieux maritime et institutionnel. »
Pour la saison à venir, Walt continue logiquement de soutenir Kéni. « Les entreprises accompagnent les alternants tout au long de leur formation. De la même façon, nous souhaitons être aux côtés de Kéni pour qu’il se construise un beau palmarès. C’est une ambition au long cours ! » La déléguée générale de Walt tient à rappeler le rôle déterminant des partenaires dans le chemin déjà parcouru. « Sans eux, le projet n’aurait pas vu le jour. Leur implication au cours des trois dernières années nous permet de continuer à y croire. »
« Un partenariat qui fait sens »
Entretien croisé d’Éric Routier, vice-président du CCCA-BTP, et de Christelle Rozier, administratrice au CCCA-BTP.
Vous découvrez pour la première fois le bateau qui est au centre de votre partenariat avec Walt, quelles sont vos impressions ?
Éric Routier : Je suis impressionné par les qualités sportives, techniques et humaines que mobilise la course au large.
Christelle Rozier : Les hommes comme le bateau sont remarquables ! Croire à un projet c’est une chose, mais le voir concrètement mis en œuvre, c’est particulièrement satisfaisant.
Qu’est-ce qui rapproche Captain Alternance du CCCA-BTP ?
É. Routier : Un chantier, c’est avant tout un travail d’équipe : tout le monde met ses compétences au service d’un projet. La transat en équipage suit la même démarche, puisque chacun œuvre dans un objectif commun. Une construction ou une course répondent aux mêmes impératifs de temps et d’efficacité. Ce sont deux domaines qui impliquent une gestion du temps et de contraintes multiples.
Par ailleurs, les jeunes du bâtiment et des travaux publics ont eux aussi leurs compétitions (Olympiades de la Jeunesse, concours Un des Meilleurs Apprentis de France, compétition Worldskills). Ce sont aussi des épreuves où il faut aller vite et faire bien !
C. Rozier : J’ajouterai que ce sens du collectif soutient la transmission des connaissances et des savoir-faire. Cette démarche est au cœur de chacun des organismes de formation aux métiers du bâtiment et des travaux publics. Les défis auxquels font face les acteurs de la course au large ne nous sont pas étrangers. L’innovation dans les matériaux ou le développement de solutions pour répondre aux enjeux environnementaux font partie du quotidien des acteurs de la construction.
Qu’apporte ce partenariat pour le CCCA-BTP ?
É. Routier : Tout d’abord, il montre à nos jeunes que la construction ne concerne pas que le bâtiment et les travaux publics. Nos métiers permettent d’évoluer dans des domaines extrêmement variés, comme les chantiers navals. Ce projet contribue également à véhiculer des valeurs qui nous sont chères : l’abnégation, le courage, l’endurance, l’engagement, l’humilité.
C.Rozier : Il est important d’être là où l’on ne nous attend pas forcément, tout en restant cohérent avec nos missions ! Non seulement des alternants ont participé à la construction du monocoque, mais Kéni a aussi construit son parcours pierre après pierre, en apprenant auprès de ses aînés et de ses pairs. Son histoire et sa personnalité ne peuvent être que source d’identification et d’inspiration pour nos jeunes.